Les lieux remarquables effacés par la banlieue pavillonnaire (le tiers-lieu)

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https://www.youtube.com/watch?v=VvdQ381K5xg

Traduction : S. Miermont, licence CC BY-SA 4.0
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Le pub. Le café. La place centrale. Toutes ces choses ont quelque chose en commun : ce n’est pas la maison, ce n’est pas le travail, c’est autre chose. Ce sont des lieux publics agréables où l’on peut rencontrer des amis, socialiser ou simplement observer les gens, à condition de ne pas être incorrect. Mais ces lieux se font de plus en plus rares, et dans les banlieues pavillonnaires dépendantes de la voiture, ils ont été presque complètement effacés et… c’est un problème.

Dans les années 1980, le sociologue Ray Oldenburg a décrit un concept qui existe dans les villes depuis des siècles : le « Troisième Lieu » ou tiers-lieu. Il l’a défini comme un lieu proche qui n’est ni le lieu où vous vivez –  le premier lieu – ni le lieu où vous travaillez – le deuxième lieu –. Le tiers-lieu est un endroit gratuit ou relativement peu coûteux pour se retrouver et discuter. Les cafés français, les bains japonais, les bibliothèques, les églises et les centres communautaires sont autant d’exemples de tiers-lieux.

Quand nous vivions à Riverdale, à Toronto, le café Rooster était un tiers-lieu très populaire pour les gens qui vivaient à proximité. Au Royaume-Uni, le tiers-lieu classique est le pub local, que la plupart des gens appellent simplement leur « local ».
J’ai eu un « local » dans la plupart des endroits où j’ai vécu, maintenant je ne vais pas parler de mon local actuel parce que je n’ai pas envie que vous, les curieux d’Internet, vous vous pointiez là tous les soirs, mais ceci était notre local quand nous vivions dans le centre de Londres ( le vrai Londres, pas le faux Londres).
Cet endroit était un « local » britannique assez typique, un pub situé au milieu d’un quartier résidentiel, à quelques pas de dizaines de maisons. Après y être allés pendant un certain temps, nous avons commencé à reconnaître certains des habitués, et il y avait même des jouets dans une boîte de LEGO pour les enfants. Et comme notre appartement était ridiculement petit, parce que c’est tout ce que nous pouvions nous permettre dans le centre de Londres, c’était agréable d’avoir un endroit différent pour se détendre et discuter avec les voisins. Nous avons donc été dépités quand le pub a fermé et a été transformé en logements, ce qui était un peu nul pour nous, mais ça aurait pu être pire, il aurait pu devenir un Wetherspoons. Beurk !

Lorsque vous vivez dans une ville, vous pouvez opter pour une maison ou un appartement plus petit afin de pouvoir vivre là où vous le souhaitez. Après tout, on dit que les trois choses les plus importantes dans l’immobilier sont l’emplacement, l’emplacement et… j’ai oublié la troisième, mais elle est aussi très importante. Quoi qu’il en soit, choisir un lieu de vie où tout ce dont vous avez besoin est à proximité, accessible sans avoir à conduire, est l’un des plus grands avantages de vivre dans une ville où l’on peut marcher. Et l’une des raisons pour lesquelles un petit appartement est une option viable dans un endroit comme celui-ci, c’est qu’il existe de nombreuses possibilités de détente en dehors de la maison.
C’est là que le tiers-lieu entre en jeu. C’est un endroit où vous pouvez simplement être ailleurs, pour vous détendre, ou discuter avec un ami, mais c’est tellement mieux que de rester assis dans votre petit enclos de lotissement pavillonnaire, je veux dire, votre jardin, parce que vous pouvez spontanément rencontrer d’autres personnes, ou apprendre à connaître vos voisins.

Si vous avez mon âge, ou si vous avez juste bon goût, vous vous souvenez peut-être d’une série appelée Cheers. Si les coiffures n’ont pas tenu le coup, la série, elle, a tenu bon, et c’est en fait une très bonne représentation d’un tiers-lieu. C’est un bar bon marché avec des habitués de tous horizons, où des gens qui ne se parlent pas habituellement peuvent nouer des relations. C’est un endroit où un psychologue érudit et vindicatif comme Fraser peut fréquenter un petit campagnard comme Woody. Ces types n’ont rien en commun… sauf leur tiers-lieu.

Les tiers-lieux n’ont pas seulement de la valeur parce qu’il est agréable d’y passer du temps et de discuter – ce qui, bien sûr, est le cas – mais ils remplissent également d’autres fonctions sociales essentielles. Ils créent une cohésion sociale en réunissant des groupes de personnes qui ne se côtoieraient pas d’ordinaire, ce qui améliore également l’économie locale. Par exemple, un mécanicien peut rencontrer un conseiller financier et échanger leurs services respectifs.
Les sociologues parlent souvent des relations qu’ils appellent « liens faibles », ou ce que nous, les gens ordinaires, appelons « les gens que vous connaissez à peu près ». Ces chercheurs constatent invariablement que de nombreuses personnes trouvent un emploi grâce à leurs « liens faibles ». C’est logique quand on y pense : j’ai entendu parler de beaucoup d’offres d’emploi par des connaissances, mais quand je suis à la maison avec mes enfants, personne ne vient me voir pour discuter de mes objectifs de carrière.

Les tiers-lieux favorisent également l’unité et la confiance au sein des voisinages. Selon l’American Community Life Survey, 81 % des Américains qui fréquentent des personnes qu’ils reconnaissent dans un tiers-lieu disent faire confiance à leurs voisins, alors que seulement 66 % des personnes sans tiers-lieu font confiance aux leurs. Un tiers-lieu peut donc rendre les voisins moins méfiants les uns envers les autres, un peu comme le contraire de l’application mobile Nextdoor.

Les tiers-lieux sont également les premiers endroits où les nouveaux habitants d’une ville peuvent se faire des amis ou nouer des liens sociaux, et ils constituent des points de connexion essentiels pour les adultes vieillissants qui manquent d’opportunités sociales après la retraite. Un autre avantage inattendu des tiers-lieux est leur utilité en cas d’urgence. En tant que centres communautaires, ils sont souvent les tout premiers à pouvoir apporter leur aide après une crise. Baltimore et Minneapolis sont deux villes nord-américaines qui ont créé des « centres de résilience » dans des tiers-lieux de confiance tels que des maisons communales et des églises. Après une inondation ou un incendie, les membres de la communauté peuvent accéder à une assistance informelle dans un lieu familier plus rapidement que s’ils attendaient le déploiement de l’aide nationale.

Dans une grande partie de l’Amérique du Nord, cependant, les tiers-lieux faciles d’accès ont presque complètement disparu. L’une des raisons en est que le zonage rend presque impossible la construction de tout autre type d’habitation que les pavillons individuels dans de vastes étendues des États-Unis et du Canada. Il est difficile de se rendre au pub de son quartier si sa construction n’est pas autorisée.
Trouver un tiers-lieu est encore plus difficile si vous vivez dans une ville où les lois sur le vagabondage sont strictes. Le terme « vagabondage » est défini différemment selon les endroits, mais la définition la plus large est la suivante : « s’attarder dans un lieu public, pendant un laps de temps prolongé, sans raison apparente ». En d’autres termes, flâner. Exactement le genre de choses que vous voudriez faire en dehors de la maison, du travail ou de l’école.
Quand j’étais adolescent, on se faisait virer des parcs publics, alors on se promenait littéralement dans les quartiers pavillonnaires, et on rivalisait pour voir combien de panneaux « Pelouse interdite, utilisation de pesticides » on pouvait voler. Ouais, je suis sérieux, c’est littéralement ce que j’ai fait pendant plusieurs années de ma vie. Mon tiers-lieu était les pelouses de lotissements pavillonnaires, récemment pulvérisées avec des pesticides.

Faute d’espaces publics, de nombreux banlieusards tentent de recréer un tiers-lieu, mais dans leur propre fief privé. Vous pouvez organiser un barbecue entre voisins dans votre jardin, adhérer à un club privé ou, dieu vous en garde, vous construire une « man cave », et les enfants joueront seuls dans votre jardin, au lieu de jouer avec d’autres enfants dans votre parc local. Mais tout cela ne présente pas les caractéristiques importantes d’un véritable tiers-lieu. Il est peu probable que vous rencontriez quelqu’un que vous ne connaissez pas, et il est presque certain que vous ne rencontrerez personne qui ne soit pas démographiquement similaire à vous. La plupart des banlieues pavillonnaires d’Amérique du Nord sont construites de manière à ce que toutes les maisons aient le même prix, ce qui signifie que toutes les personnes que vous rencontrerez dans votre zone de rencontre privée sont probablement du même statut socio-économique que vous. Et l’un des avantages d’un tiers-lieu est de rencontrer des gens qui ne sont pas exactement (!) comme vous.

Et les reconstitutions privées de lieux publics suppriment de toute façon toute spontanéité. Il n’y a rien de mal à planifier la venue d’amis, mais si c’est votre seule option de socialisation, vous vous privez des rencontres fortuites et de la possibilité de « croiser des visages familiers » comme vous le feriez dans un « local ».
Vous pouvez peut-être vous rendre en voiture à votre bar préféré, mais si vous devez y aller en voiture, vous ne rencontrerez probablement pas les gens qui vivent près de chez vous, et un endroit où vous sortez avec des amis et ne parlez jamais à personne d’autre est très différent du pub du voisinage où vous rencontrez régulièrement les mêmes personnes. De plus, si vous devez y aller en voiture, vous ne pouvez pas passer la nuit à boire, ou du moins vous ne devriez pas. L’Amérique du Nord a beaucoup de problèmes avec la conduite en état d’ivresse en raison de ses lois de zonage insensées, mais c’est un sujet pour une prochaine vidéo.

Bien sûr, la tentative la plus célèbre de recréer un tiers-lieu pour la banlieue pavillonnaire est le centre commercial. Que vous soyez un adolescent qui ne peut aller nulle part sans permis de conduire ou une personne âgée qui veut se promener mais que votre quartier ne dispose pas de trottoirs sûrs, le centre commercial est une alternative périurbaine à la place centrale. Mais nous ne pouvons pas non plus compter sur les centres commerciaux comme tiers-lieux. D’une part, de nombreux centres commerciaux sont en train de fermer, jusqu’à un quart d’entre eux disparaîtront bientôt selon certaines estimations, et leur remplacement par les magasins à grande surface spécialisés est encore pire.
Mais surtout, les centres commerciaux ne font pas ce que fait un tiers-lieu : ils sont conçus pour être des attractions qui attirent des gens de partout, pas seulement de votre communauté immédiate, et par conséquent, ils ne construisent aucune sorte de cohésion sociale. Il est peu probable que vous reconnaissiez des visages familiers au centre commercial, à moins que vous n’y travailliez, et il est très peu probable que vous entamiez une conversation avec l’un d’entre eux, à moins que vous ne soyez l’un de ces vendeurs de stand un peu insistants.
Certaines villes tentent de recréer elles-mêmes des tiers-lieux : à Washington D.C., les employés de bureau peuvent réserver des tables et des chaises dans certains parcs publics pour travailler et se rencontrer, mais, là encore, cela élimine la spontanéité inhérente à un tiers-lieu. Vous ne pouvez pas simplement passer et voir les habitués, c’est une activité à part entière que vous devez planifier. De plus, réserver une table publique pour travailler encore plus sur son ordinateur portable va à l’encontre de l’objectif d’un « lieu hors du travail ».

Cependant, un tiers-lieu intéressant qui subsiste dans de nombreux endroits aux États-Unis est le salon coiffeur-barbier local. Cette pratique est courante dans de nombreuses cultures du Moyen-Orient, mais aussi dans les quartiers noirs et hispaniques des États-Unis. Le salon de coiffure peut fonctionner comme un tiers-lieu où les hommes peuvent se retrouver et discuter, même s’ils ne sont pas là pour une coupe de cheveux.

Bien sûr, il existe encore en Amérique du Nord des quartiers historiques accessibles à pied où les tiers-lieux sont plus accessibles, mais malheureusement, leur nombre est en baisse depuis la récession de 2008, et les fermetures pendant la pandémie ont accéléré cette tendance. Selon la même enquête American Community Life, en 2021, seulement 56 % des Américains déclarent avoir un « endroit dans leur communauté où ils vont régulièrement », et c’est neuf points de pourcentage de moins qu’en 2019. Sans surprise, la même enquête a montré que les Américains qui ont un repère local vivent généralement dans des zones urbaines plus denses et piétonnes, et non en banlieue pavillonnaire.
En fin de compte, les villes américaines et canadiennes n’auront jamais de tiers-lieux vraiment intéressants tant que le zonage ne sera pas modifié. À l’heure actuelle, les tiers-lieux n’existent pas dans la plupart des nouveaux quartiers américains, principalement parce qu’ils ne le peuvent pas, et essayer de recréer leurs avantages dans un monde qui est spécifiquement conçu pour les exclure est systématiquement voué à l’échec.

Le concept de tiers-lieu peut parfois sembler un peu nébuleux, et il est facile pour les gens de le rejeter. J’ai entendu des banlieusards dire « Je préfère traîner dans mon sous-sol avec mes amis plutôt que de sortir quelque part », ce qui est peut-être vrai, mais je pense vraiment qu’une partie de ce sentiment vient de personnes qui n’ont jamais vraiment eu un bon tiers-lieu à proximité, un endroit où l’on peut facilement s’arrêter quand on veut, sans avoir à prendre la voiture et sans sortir du quartier.
Parce qu’une fois qu’on l’a essayé, on ne souhaite pas vraiment s’en passer.

En conclusion, si un voisinage accorde vraiment la priorité aux tiers-lieux, il sera en général plus agréable à vivre, même si vous n’y passez pas de temps. Un quartier qui planifie des tiers-lieux sera nécessairement plus propice à la marche, plus accessible et plus agréable à vivre. Cela pourrait même transformer votre voisinage en un endroit… où tout le monde connaît votre nom.

NDT

J’ai choisi de traduire « Third Place » par « tiers-lieu » car c'était l’origine de ce mot (voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Tiers-lieu) qui a depuis été accaparé de façon un peu cavalière par les loueurs de bureaux partagés et les promoteurs de projets nébuleux auprès d’élus locaux ne sachant plus à quel Saint se vouer face à la destruction par l’État de toute forme de Service Public qui ne soit pas réductible à une app mobile, ou équipé de grenades.

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Pub: 12 Dec 2022 16:41 UTC

Edit: 16 Dec 2022 12:10 UTC

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